La sorcière de la tour maudite
Ma tour
Bonjour toi qui me lis! Qui es-tu ?
Moi je suis Gertrude, la sorcière de la tour maudite.
C’est dans un phare déchiqueté par les tempêtes et les pluies glaciales que j’ai élu domicile. Je m’y plais bien qu’on prétende cet endroit maléfique. D’ailleurs rares sont les navires osant s’aventurer autour de mon domaine qui est, la nuit venue, le lieu de ralliement de toutes sortes d’oiseaux: chauve-souris, hiboux rabougris et autres monstres volants.
C’est sans doute leurs cris épouvantables résonnant à des kilomètres à la ronde qui ont valu à ma demeure son injuste réputation. Mais qu’importe ce qu’on dit et pense de ma ruine, c’est le cadet de mes soucis. Et je suis sûre que toi, cher lecteur, tu la découvriras avec émerveillement.
Ma chambre, ou plutôt ce qu’il en reste, domine une mer rageuse dont les vagues se brisent contre le cristal écorché de ma fenêtre. Tu ne peux pas savoir combien j’aime, les soirs de pleine lune, me tenir là-haut assaillie comme un frêle esquif. Au cœur de ce tumulte je hume l’écume amère et touche alors le fond de ma terrible solitude.
J’adore apercevoir les voiliers en déroute tentant d’échapper à l’attraction de cet univers tourmenté qui est le mien. Des tribus de volatiles coassants accompagnent ces bateaux ivres jusqu’à leur dernier souffle.
Il fut un temps où au plus fort des ouragans, j’allumais un feu follet pour donner de faux espoirs aux navigateurs égarés. D’autres fois, je revêtais une armure effrayante et me dressais sur un rocher pour faire fuir les matelots les plus hardis. Peu sont ceux qui ont pu soutenir cette apparition d’un autre monde !
Sans doute t’imagines-tu que la cause de cette cruauté était le désir de m’emparer des richesses transportées par ces vaisseaux. Tu te trompes. C’est vrai que dès l’aube j’avais coutume d’enfiler mon scaphandre (appareil de plongée démodé maintenant) et montée sur Arpège mon dauphin, je m’enfouissais dans les profondeurs à la recherche d’une probable fortune.
Mais ce trésor n’était pas ce que tu crois. Et maintenant que vient l’heure de la confidence je vais tout te dévoiler.
Sinistre trio
Moi qui te parle je fus un jour une autre, douce et sans malice, belle aussi, oui, belle. Je n’avais rien d’une sorcière. Mon frère et moi vivions heureux au bord d’une lagune transparente avec pour amies, flore et faune marines. Dans ces tièdes verrières où des algues ondulaient, nous écoutions vibrer des orgues. Et comme nous étions aussi guérisseurs nous soignions les animaux blessés: le poisson-lune, l’étoile, la tortue, le cachalot…
Cependant mon frère et moi fûmes bientôt inquiétés par l’arrivage de plus en plus considérable de malades. Nous manquions désormais de temps pour dispenser des soins à tous.
Alors nous décidâmes d’explorer l’océan pour éclairer ce mystère. Nous partîmes à l’aube d’un matin d’été, bien décidés à ne revenir qu’après l’avoir élucidé. Arpège nous ouvrait le chemin suivi d’un cortège d’hippocampes. Au bout de quelques heures, l’onde se troubla et nous nous retrouvâmes face à une barrière de coraux. Un poisson scie qui s’était joint à nous en sectionna un morceau.
Poussés par la curiosité nous nous sommes faufilés dans ce passage pour observer les alentours. Pas âme qui vive dans ce cimetière marin où, dans un silence de mort, plantes et bêtes semblaient momifiées. Des dizaines d’épaves jonchaient le sol. On y découvrait des trésors éventrés remplis de bijoux et des squelettes. Derrière un rideau de lianes se dessina une silhouette difforme. C’était un bossu pas plus haut qu’un tabouret avec des yeux cruels. La méduse qui le suivait lui taquinait méchamment la bosse. Un avorton malingre, son frère peut être, trainait derrière sautillant gaiement entre les macchabées .
Avec un rictus horrible, celui qui semblait le chef attrapa au vol un des bras du mollusque pour en prélever l’encre. Il versa le liquide dans un coquillage qu’il tendit à l’avorton :
« Va à la rencontre du navire royal qui bientôt voguera sur notre territoire. En échange d’un bijou, propose à son capitaine ce poison dont tu vanteras les vertus. Tu lui conseilleras de le répandre dans les flots. Il tue instantanément orques, épaulards et baleines. Les marins les vendront ensuite à prix d’or après les avoir dépecés. Enfin, avant de repartir arrange-toi pour trancher la coque du vaisseau avec ce cristal aiguisé. L’embarcation coulera, son équipage avec. Nous n’aurons plus qu’à nous servir…Royal cargaison, royal butin…Non seulement nous deviendrons encore plus riches mais nous nous débarrasserons peu à peu de ces mammifères encombrants qui forcent notre muraille.”
Sortilège
Le gringalet se volatilisa et mon frère et moi partîmes à sa poursuite montés sur Arpège. Vif comme le vent il s’évanouit dans un couloir d’éponges, s’enfila dans une cavité, réapparut à l’autre bout presque sur le champ, puis enfourchant un poisson volant, il disparut à la vitesse de la lumière. Tout à coup des grondements retentirent et nous fûmes secoués par de puissants remous. A la surface, une goélette princière et une frégate au pavillon noir se livraient bataille. Les canons tonnaient et les boulets fusaient tandis que sur les ponts, mousses et matelots s’affairaient autour des cordages et grimpaient dans les voiles avec la souplesse des singes.
A cet instant, l’avorton réapparut au milieu des embruns. Je lui décochai une flèche soporifique. A peine l’eut elle touché qu’elle déclencha des ultra sons alertant son maître du danger. En quelques secondes son sauveur arriva, attrapa mon frère par le cou et hurla :
« Toi qui as découvert ma machination, tu seras condamné à errer dans la cale de mes épaves. Tu y surveilleras mes richesses et veilleras à ce que personne ne franchisse le mur qui abrite ma fortune. Si tu faillis à ta mission tu seras précipité dans un cachot où les rats te dévoreront à petit feu. Ce supplice durera jusqu’à ce que devenu cul de jatte, ton corps soit lancé à la mer pour y finir sa misérable destiné dans des bans de requins.”
Se tournant vers moi, ce personnage diabolique me transforma en sorcière et je me retrouvai au milieu des flots montée sur mon dauphin.
Chevauchées marines
Toi qui m’écoutes, toi mon confident, je ne puis t’exprimer mon dégoût: j’avais été témoin de la méchanceté des hommes prêts à massacrer animaux et humains pour s’enrichir. A partir de ce jour je sentis la haine se diffuser en moi comme un venin.
Je me mis alors à parcourir les mers à la recherche d’un repaire à l’image de mon univers intérieur pétri de rage. Long fut le temps de mes errances. Mais après de nombreuses chevauchées marines je fus guidée vers cette tour maudite qui me protège de tout ce qui ressemble à un homme.
A l’heure où je te parle, des éternités ont coulé depuis cette aventure. Cependant avant de terminer mon histoire je me dois de te faire part de mon incroyable découverte.
Retrouvailles
Par une nuit houleuse, je vois un trois mats s’aventurer dans les eaux de mon territoire bravant orages, écueils et courants.
Intriguée, je saisis ma longue vue pour, du haut de ma forteresse y plonger mon regard. Le voilier est abandonné mais à son bord lutte un naufragé qui attire mon attention…
Faisant face à la tempête, il s’agrippe de toutes ses forces à la barre tentant de redresser le cap en ma direction. Bizarre, bizarre…Je dois examiner de plus près ce téméraire inconnu.
Je suis sûre que tu penses que je vais voler à son secours. Une fois de plus tu te trompes et je vois que tu me connais mal.
Je m’installe dans mon zinc (avion très vieux) aux hublots grand ouverts et fonce vers le radeau en perdition. Mes guenilles claquent au vent et mes cheveux, raidis par le sel fouettent les nuages. La tempête est si puissante que tiraillée par des vents contraires je reste immobilisée, suspendue en plein ciel. Il me faut batailler pour atteindre mon but. Mais lorsque je commence à planer au dessus de l’épave, je distingue d’abord un pavillon noir à tête de mort puis le visage du survivant.
Son expression m’est familière et derrière ses traits défaits par l’épuisement il me semble distinguer le seul être qui en ce monde compte pour moi, mon frère. Quelle joie de réaliser que malgré mon apparence de sorcière il me reconnait.
Mon sang ne fait qu’un tour. Je lui lance une grosse corde et le hisse dans mon zinc. Mon frérot fait peine à voir, plus mort que vif, plus blanc que neige, frigorifié. Mais comme c’est bon de se revoir! Toi qui assistes à nos retrouvailles inespérées, avoue qu’elles sont émouvantes.
Depuis, nous filons des jours heureux dans notre royaume, entourés de nos amis les poissons. Je n’ai plus besoin maintenant d’écumer les flots l’angoisse au ventre pour retrouver, au fond des épaves endormies, le corps chéri de mon bien-aimé.
Peu m’importe d’ailleurs pustules et nez crochu car je suis, de toutes les sorcières, la plus joyeuse et la plus chanceuse qui soit.
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Excellent blog post. I absolutely appreciate this website. Keep writing! Tarra Joe Chapnick